RENCONTRE AVEC STÉPHANIE CALVINO D’ANTI FASHION – INTERVIEW

On peut aimer la mode et vouloir prendre soin de la planète. Indignée par les excès de l’industrie textile, et la surcommation,la styliste Stéphanie Calvino a lancé les rencontres Anti_Fashion en 2016. [mepr-show rules=”8316″ unauth=”message”] Cet événement fort –extension du Manifeste de Lidewij Edelkoort.- s’articule autour d’ateliers, worshops et conférences.  Le but ? Accompagner le changement de l’industrie vers plus de transparence, rassembler, et fédérer un maximum d’acteurs de la mode, ou des tendances en général, sensibiliser aux méthodes de travail plus responsables. Interview !

Comment a débuté Anti_Fashion Project ?

Ce projet a vu le jour en 2016 à Marseille car c’est ma ville. Auparavant, j’étais consultante pour la Maison Mode Méditerranée Marseille (MMMM) et pour la Chambre Syndicale de la Couture et la Fédération Française du Prêt-à-Porter (FFPAP). En 2015, Lidewij Edelkoort a publié le Manifeste Anti_Fashion. Elle pointait du doigt les disfonctionnements de l’industrie de la mode : perte de savoir-faire et de la création. Je ne la connaissais pas, mais je lui ai envoyé un mail pour lui proposer de créer un événement autour de ce manifeste. L’objectif était de fédérer des industriels, des marques et des étudiants autour de ces réflexions : comment produire moins en consommant mieux ?  Comment repenser ensemble une mode plus éthique. On a démarré de manière modeste à Marseille avec 500 personnes durant trois jours. A la fin des conférences, Lidewij a trouvé que l’événement était réussi. Elle m’a proposé d’organiser des rencontres chaque année. C’est une réflexion contre les anciennes tendances, sur un système à repenser, un cri d’amour lancé à l’industrie de la mode.

Qui peut participer ?

Tout le monde ! C’est un événement dans lequel nous développons des cycles de conférences, des workshops et un projet de mentoring destiné aux jeunes des quartiers prioritaires de Marseille et Roubaix. C’est gratuit et ouvert au public. 

Comment aidez-vous les marques à se réorienter vers une mode plus responsable ? 

Je pense que le principal c’est la transparence vis à vis des consommateurs. Ces derniers sont loin d’être bêtes. Avec internet et les réseaux sociaux,  ils sont de plus en plus informés, se renseignent sur la fabrication des produits, leur toxicité, par qui ils ont été fabriqués ect…  Aujourd’hui, on est dans une profusion de consommation de vêtements jetables fabriqués dans des conditions atroces. Avons-nous vraiment besoin de tout ça ?  Je cite souvent ma grand-mère qui était née en 1914, elle faisait du bio et de l’upcycling depuis déjà longtemps, avant même que ce mot ne devienne «  tendance ». Dans le temps, les personnes n’avaient rien, elles respectaient les produits, les gardaient. Aujourd’hui, on achète, on porte pendant un mois, une journée ou pas du tout, et on jette. 

Que pensez-vous de la fast fashion ?

C’est terrible, ce n’est pas propre. C’est un système de production qui n’est pas bon pour la nature. On a tellement créé de besoins et fait croire aux gens qu’ils avaient besoin de beaucoup de choses, que l’on est rentré dans une consommation effrénée. Depuis la sortie de la seconde guerre mondiale, on fait croire que pour être heureux, et à la pointe socialement, il faut le dernier frigo, la dernière voiture, le nouveau smartphone… Quand vous ouvrez n’importe quel magazine féminin, et je n’ai rien contre personne, mais vous vous rendez compte que ce que vous avez acheté la semaine d’avant est déjà dépassé. Alors vous vous dites « Mince, j’ai loupé le coche !  Je suis vraiment has been … ».Quand vous voyez que certaines enseignes de fast fashion fabriquent 50 collections par an. C’est du délire. On est sur une profusion de consommation dingue ! Les gens sont persuadés que consommer les rendra heureux. C’est faux. Aujourd’hui, on sort de ça, ce qui donne de l’espoir. Quand on voit le nombre de jeunes qui se sont mobilisés lors de la « Marche du siècle » pour le climat, c’est qu’il y a une prise de conscience. On a envie de sortir de ce système qui a été dicté par les gros industriels et n’est pas propre en matière de politique. On voit bien que cela à ses limites. Même les romains à force de vivre dans l’opulence, ont eu leur déclin. Tout ça n’est bon qu’un temps. Aujourd’hui, on aspire à un bonheur simple, des vraies choses. On est dans une quête de transparence. 

Comment responsabiliser les consommateurs ?

Déjà il faut comprendre que lorsque vous rentrez dans des enseignes de fast fashion, et que vous achetez dix tee-shirts à 3 €, si ils coûtent ce prix, c’est qu’ils sont obligatoirement fabriqués dans de mauvaises conditions. Il y a quelqu’un qui trime à l’autre bout de la chaine de production. Cette marque casse les prix sur le dos de quelqu’un à l’autre bout de la terre. Il vaut mieux acheter deux beaux t-shirts à 15 €  fabriqués en France de manière respectueuse que l’on va garder. Mais la vraie question qu’il faut se poser : est ce que vous avez vraiment besoin de dix tee-shirts à 3 € dans votre armoire, de 100 paires de chaussures, de 30 sacs ? La réponse est Non. Les hommes politiques par exemple, ils ont mis un système qui est extrêmement intelligent, ils sont habillés toujours de la même manière. C’est un gain de temps pas possible. Après ça peut être chiant, mais fondamentalement : est ce que l’on a besoin de changer de chaussures, de pull ou de sac tous les jours ?  Est-ce que c’est vraiment nécessaire ? Est –ce que ça va changer la façon dont vous allez être perçu par la société ? Est-ce que cela va changer votre statut social ? Vous rendre plus heureux ? Cette réflexion est plus qu’une histoire de mode, c’est un vrai travail de développement personnel, d’image sociale que l’on veut donner aux autres. Je sais que ce chemin d’introspection est long. Après il ne faut pas rentrer dans la dictature du rien du tout, mais bon entre « TROP » et « PAS DU TOUT », je pense qu’il y a un équilibre que l’on a oublié… Il faut acheter moins, mais mieux, de meilleure qualité et fabriqué de façon vertueuse.

Pouvez-vous me parler du projet de mentoring destiné aux jeunes des quatiers défavorisés ?

Les quartiers difficiles de Marseille et de Roubaix sont un vivier de jeunes talents. Il y a peut être les meilleurs instagrameurs, créateurs et créatifs, mais faute de moyens financiers, ils ne sont pas mis en lumière ou mal orientés. Avec Sébastien Kopp, fondateur de la marque Veja,  nous avons décidé de lancer un projet  social d’accompagnement afin d’aider ces jeunes à trouver un vrai projet professionnel..Nous rencontrons des jeunes de 18 à 25 ans en situation précaire, en marge, descolarisés, et nous leur proposons de les accompagner dans leurs démarches à travers des workshops créatifs ou des entretiens avec des professionnels. Le but est qu’ils trouvent un métier ou des études qui leurs plaisent vraiment. On travaille avec eux de janvier à juin. Il y a des  ateliers créatifs, des cours de diction, rédaction, de développement personnel, dans le but de les éveiller aux métiers de la création. Ils passent ensuite devant un jury de professionnels. L’objectif étant vraiment de créer une passerelle avec le monde du travail, donner des contacts, échanger pour qu’ils trouvent un métier. L’année dernière, on a réussi à faire intégrer une passionnée de couture à l’école ESMOD, une autre jeune fille motivée et bosseuse chez Veja en CDI. J’en suis très fière. 

Quels sont vos projets pour l’année en cours ? 

Organiser les prochaines rencontres Anti_Fashion qui auront lieu à Marseille du 28 au 29 juin avec le jury du projet mentoring qui se tiendra le jeudi 27 juin. Mais aussi le développer cet événement dans d’autres villes et pays. [/mepr-show]

Crédit photo ©Anne Loubet

La Fashionerie

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