Texte Elisa Seydi
Symboles des années 90, les supermodels ont fait la légende du milieu du mannequinat avant de tomber du haut des podiums, parfois très bas. Vingt ans après, elles font un come-back éblouissant. Analyse d’un phénomène.
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Dimanche 30 juin 2013, la maison italienne Versace crée la surprise en ouvrant la semaine de la haute couture parisienne avec une invitée de choix : Naomi Campbell. Du côté des front-rows, c’est l’étonnement général, tandis que les réseaux sociaux s’affolent. La top électrise le parterre d’invités. L’actrice américaine Uma Thurman n’en croit pas ses yeux, les internets se posent mille questions sur les secrets de son physique quasi-inchangé. La panthère noire de 43 ans est revenue fouler le podium en 2013, elle qui n’avait pas défilé pour la marque depuis le décès de son fondateur Gianni Versace en 1997.
Visage mutin, jambes interminables, déhanché légendaire, corps sculptural sublimé par un body strassé, la belle règne sur le show comme du temps où elle et ses copines top models faisaient la loi des couvertures de magazines.
De Cindy à Carla
Souvenez-vous, c’était une époque où les mannequins étaient devenus des stars à part entière, et non plus, uniquement des portemanteaux pour couturiers. Cindy Crawford, Naomi Campbell,Linda Evangelista, Stéphanie Seymour, Christy Turlington, Claudia Schiffer, Eva Herzigovà, Tatjana Patitz, Kate Moss, Karen Mulder, Helena Christensen, Amber Valletta, Carla Bruni, Nadja Auermann, Estelle Hallyday, Tyra Banks… Les tops s’étaient fait un nom, et prenaient parfois même plus d’importance que les vêtements qu’elles étaient censées représenter. On les considérait comme des peoples, elles voyageaient en jet, et leurs exigences étaient à la mesure de leurs statuts. Elles étaient partout, à la télé, sur les podiums, au cinéma, dans les clips vidéo… Avec le recul, cette prise de pouvoir des top models peut être interprétée comme l’avènement d’une nouvelle race de femme, dans le prolongement de la working girl des années 80, le charme et la plastique en plus. En tout cas, la montée en force des business women et d’un certain mouvement girl power représenté par les Spice Girls. Ou bien peut-être était- ce tout simplement l’avènement d’une industrie de la mode où l’argent allait commencer à couler à flots. Ces derniers temps, la mannequin est en tout cas redevenu anonyme. Les stars jetables. Et tout le monde semblait s’en satisfaire sauf que…. La crise est passée est par là et les valeurs sures, en fashion comme ailleurs, sont redevenues à la mode.
Top Model, le début du phénomène
Fin des années 80, l’ère du mannequinat classique cède sa place au phénomène des top models. Plusieurs préposés expliquent la prise de pouvoir de ce nouveau type de mannequin : d’abord la consanguinité d’un milieu qui ne comptait que quelques magazines, peu de photographes, et moins d’agences de mannequins. «à cette époque, il y avait effectivement très peu de mannequins et moins d’agences », se souvient Nathalie Cros-Coitton, ancienne bookeuse d’Elite, qui a fondé l’agence Nathalie Models. «Et puis, le public s’est amouraché de ces nouvelles muses car durant cette période, les actrices n’étaient pas sexy. Je pense qu’on a eu envie de glamour, et ces femmes faisaient rêver. » Il faut dire que les agences ne fonctionnaient pas du tout de la même manière qu’aujourd’hui. L’abattage auquel on assiste parfois de nos jours n’était pas vraiment la norme. « Les bookeurs avaient le temps de construire la carrière d’une fille et misaient surtout sur la durée », complète Nathalie Cros -Coitton, qui pointe l’aura bien particulière des tops de l’époque. «Quand ces filles ont explosé, elles étaient déjà pros. Elles avaient plusieurs années d’expérience derrière elles, mais outre leur professionnalisme, elles avaient aussi de fortes personnalités. Elles véhiculaient une énergie, une histoire et des univers bien différents. » Le milieu évoluait aussi en comité restreint. La multiplicité des supports n’était pas la règle, quelques magazines de mode avaient pignon sur rue, et peu de photographes se partageaient le marché.
Dans ces conditions, on retrouvait souvent les mêmes, devant et derrière l’objectif. « Les grands photographes de l’époque comme Herb Ritts, Patrick Demarchelier, Peter Lindbergh, ou Bruce Weber avaient beaucoup de pouvoir. Ils ont eux aussi contribués à faire de ces mannequins des icônes », souligne Nathalie. Le grain de beauté de Cindy Crawford, la moue mutine de la panthère noire Naomi Campbell, les yeux félins de Kate Moss, le côté caméléon et la coupe masculine de Linda Evangelista, chacun de ces signes était profondément personnels et identifiables. Les tops constituaient un condensé de la femme parfaite. En quelques années, ces filles sont devenues les idoles de toute une génération, au même titre que les stars de la musique et du cinéma. Toutes les femmes voulaient leur ressembler, les hommes rêvaient de les avoir comme maîtresses, et les adolescentes punaisaient les couvertures de magazines sur les murs de leurs chambres.
« Je ne sors pas de mon lit pour moins de 10 000 dollars par jour»
Le début des années 90 marque l’année de leur gloire. Les tops models enchaînent les campagnes publicitaires, et apparaissent dans de nombreux clips vidéos comme Freedom ! 90 et Too Funky de George Michael ou In The Closet de Michael Jackson. Elles sont invitées sur les plateaux TV, s’affichent au bras de sportifs (le boxeur Mike Tyson, le footballeur FabienBarthez),de chanteurs (Axl Rose) et d’acteurs hollywoodiens (Richard Gere, Robert De Niro, Johnny Deep). Sans parler de leurs cachets exorbitants. Linda Evangelista dira même: «Je ne sors pas de mon lit pour moins de 10 000 dollars par jour ». Une déclaration en forme de provocation, qui est restée culte dans le petit milieu de la mode. «à un moment donné, c’était très Fric and Chic quand même », confirme Nathalie qui a notamment géré la carrière de Cindy Crawford, Stéphanie Seymour, Karen Mulder, Linda Evangelista, Amber Valetta, et Naomi Campbell. «Ceci dit, les filles coûtaient très chères mais restaient très pros. » Signe qu’elles sont les stars de cette époque, le photographe Peter Lindbergh va jusqu’à leur consacrer un long métrage de 52 minutes baptisé Models, The film en 1991, où il capte les moments de vie des tops à New York.
Crédit photo: Chronicles five of fashion photographer Peter Lindbergh’s muses, the supermodels of the early 1990s.© Peter Lindbergh
Le chanteur Prince quant à lui écrit une chanson hommage à Cindy Crawford intitulée Cindy C. « On est passé tout d’un coup du statut de simples mannequins à celui de stars internationales. La Terre entière connaissait nos noms et nos vies», confiait Karen Mulder dans une interview donnée à Thierry Ardisson. Véritables icônes, scandaleuses et fascinantes à la fois, les tops models incarnent alors une réussite rêvée dans une société où la crise n’avait pas pointé le bout de son nez. Vincent Grégoire, tendanceur pour le bureau de style Nelly Rodi nuance : « Ces filles-là étaient à contre courant. Elles préfiguraient les années bling-bling ». Les années bling- bling, les années de l’argent roi, seront pourtant, ironie du sort, les années de la descente aux enfers pour les tops.
Le retour de bâton
Il faut dire qu’à force d’omniprésence et de dérives, les top models finissent par lasser. Entre des cachets faramineux, des exigences de divas, et des déclinaisons de leur profession pour le moins hasardeuses, le public se pose la question de leur légitimité. C’est l’époque des T-shirts Elite, de l’Elite Models Café…. Tout est bon pour faire de l’argent sur l’image qu’ont construit ces icônes. Les tops veulent devenir actrice, coach sportif, chanteuse… Problème, elles ne sont pas connues pour leurs aptitudes artistiques, mais plutôt pour leurs plastiques. Quant au milieu de la mode, il est en pleine mutation. Les agences se multiplient, les magazines aussi. La demande est plus forte, et elle ne peut pas être satisfaite par trois ou quatre filles, qui encaissent des salaires exorbitants. La tendance n’est plus aux Supermodels, mais aux mannequins-clones interchangeables. Les mannequins de l’Est font alors une arrivée massive dans les agences, suivies par les Brésiliennes. Contrairement aux top models, ces jeunes modèles en herbe touchent des cachets moindres, sont moins exigeantes, et surtout très dociles. « Avec le développement du web, l’ouverture des frontières, notre façon de travailler en agence a complètement changé. Les filles sont arrivées de partout et l’offre a dépassé la demande. Puis il y a eu une espèce d’uniformité des mannequins», se souvient Nathalie. Les créateurs exultent. Le centre d’attention des défilés c’est eux et personne d’autre. Naomi, Linda, et Kate, amorcent alors une descente aux enfers. Elles subissent le contrecoup de leurs célébrités, et passe de la rubrique people des journaux à celle des faits divers. La première se retrouve à effectuer des travaux d’intérêt généraux pour la ville de New York après avoir frappé son assistante avec un téléphone portable. Linda poursuit son ex-concubin en justice, après lui avoir donné un enfant. Quant à Kate, on la voit sniffer de la cocaïne dans une vidéo qui fera le tour de monde. Même une fois réhabilitées, leur image en prend malgré tout un sacré coup. C’est aussi la période où les tops posent pour de grandes enseignes bon marché afin de conserver leur train de vie V.I.P.
Zara, H&M, Mango, Topshop et C&A, se paient leurs services, chose inimaginable auparavant. Et puis, elles sont devenues des femmes mûres, voir des mères de famille pour certaines et dans la mode, vieillir ne fait pas forcément recette. Enfin, c’est que chacun croyait… Mais les supermodels n’ont pas dit leur dernier mot ! [
Crédit photo – Naomi Campbell défile lors de la présentation Atelier Versace à Paris en 2013
(Versace Presse- Photo presse Versace)
Show Versace printemps-été 2018- Carla Bruni, Claudia Schiffer, Naomi Campbell, Cindy Crawford et Helena Christensen réunies autour de Donatella Versace émue. Crédit Photo Versace ©
Le retour des retraités des podiums
Alors que les supermodels fêtent pour la plupart leurs vingt cinq ans de carrières, elles sont omniprésentes : Naomi Campbell défile chez Versace, Helena Christensen dévoile son corps de rêve pour la marque Triumph, Elle MacPherson pose nue pour le Harper’s Bazaar… Pourquoi ce regain d’intérêt pour ces anciennes modèles quadragénaires ? « On aime ces femmes car on a grandi avec elles. Ce sont des super-héroïnes avec du chien à l’opposé des jeunes mannequins qui se ressemblent toutes. Ces femmes fortes, sont de sublimes mères de famille avec de la bouteille, qui ont connu des hauts et des bas. Elles symbolisent cette liberté des années 90 », affirme Vincent Grégoire. La nostalgie pour les années 90 prend corps à travers ces femmes : on veut revoir défiler ces anciennes tops, comme on réécouterait un bon disque de Color Me Badd ou de Nirvana.[emaillocker id=”5111″] [/emaillocker]
Crédit photo : Les « supermodels » Claudia Schiffer, Cindy Crawford et Naomi Campbell réunies pour Balmain en 2017. © Balmain
Enfin, toutes ces supermodels ont démocratisé et popularisé la mode, elles agissent donc comme des repères pour une industrie du luxe en baisse de régime. Pour une marque, jouer la carte du top model comme un joker, est rassurant. Elle est sûre de susciter l’intérêt du public et des acheteurs. Ces femmes quadras sont des jalons dans un monde incertain où l’éphémère est roi. Le retour des tops des années 90 traduit aussi l’état d’esprit d’une génération X qui ne se voit pas forcément vieillir, ou a plutôt du mal à prendre de l’âge dans une société où l’espérance de vie ne cesse d’augmenter. Vincent Grégoire, lui, interprète aussi cela comme un ras le bol. « Aujourd’hui, on en a marre du culte du jeunisme, du Botox et de la crème anti-âge, de toutes ces petites It girls et ces starlettes éphémères issues de la téléréalité, on a besoin de véritables icônes. Et c’est ce que ce que ces femmes mûres sont avec leurs cicatrices, leurs rides et leurs vécus ».
“Ces femmes sont des jalons dans un monde incertain où l’éphémère est roi.”
Savoir, qu’à 40 ans, on peut susciter encore plus de désir qu’à 20 ans, rassure aussi toutes les femmes et tant que ces tops garderont leur photogénie, elles ne s’arrêteront pas. Il suffit de voir le buzz qu’a provoqué le dernier défilé Versace avec Naomi Campbell pour s’en convaincre. « Je voulais une femme sexy et sophistiquée, avec une attitude forte. Seule une véritable icône pouvait ouvrir ce défilé couture », twittait Donatella Versace à l’issue du show. Prôner l’attitude plutôt que la beauté seule, faire de son vécu un atout de séduction, voilà un mode d’emploi que toutes les femmes comprennent… Et auquel elles ne peuvent qu’adhérer.
Parce qu’elles ont dominé la mode et continuent de nous faire rêver aujourd’hui encore, les Supermodels reviennent à la rentrée dans une mini série documentaire signée Apple Tv +.
Interviews exclusives et d’images d’archive inédites, cette mini-série signée Apple TV + plonge les spectateurs dans les coulisses des défilés les plus grandioses de leur carrière et raconte sans ambages le poids que ces femmes ont eu sur notre société, doublé d’une empreinte significative à jamais gravée dans l’industrie de la mode.
Documentaire à ne pas rater prochainement ;
Les Supermodels, disponible sur Apple TV + le 20 septembre 2023
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