Texte Alexandre Paul Demetrius – photo presse
Avec sa dernière collaboration, où c’est désormais le rappeur Nas qui tient la vedette, Levi’s s’affirme comme une marque de streetwear sans pour autant dénaturer son positionnement historique de jeanner. Résister à toutes les modes, mais rester dans la tendance : telle est l’équation que le fabricant de jeans a réussi à résoudre.
Personne ne l’avait vraiment vu venir, mais le méga-partenariat avec Beyoncé aurait pourtant dû nous mettre la puce à l’oreille, même si le lien avec le streetwear n’était à l’époque pas des plus évidents. Dans une tonalité cowboy et aux origines texanes, l’association avec Queen B ne laissait pas forcément entrevoir la rue et son univers. Et pourtant, les prémices d’une stratégie payante étaient déjà bien en place, comme ce fut d’ailleurs le cas dans le passé. Alors que de nombreuses enseignes se perdent dans des répliques luxe néo-street ou néo-créateur urbain, Levi’s a choisi de miser sur la carte de l’authenticité et d’un héritage qui est finalement le sien.
UNE LONGUE HISTOIRE
Levi’s et le streetwear, c’est en effet une longue histoire d’amour, commencée non pas il y a une dizaine d’années, mais bien depuis les années 50 et 60, où la marque est déjà l’apanage des blousons noirs et autres motards qui terrorisent l’asphalte de nos villes. Le concept même de streetwear n’existe pas encore, mais on est tout de même dans un registre urbain avec une connotation d’appartenance à un groupe, de préférence jeune et alternatif. Adopté au fur et à mesure par le plus grand nombre, qui s’approprie le jean comme un pantalon finalement comme les autres, Levi’s ne finit pas de se normaliser dans le paysage urbain, perdant un peu de singularité. Il faudra attendre 20 ans de plus pour voir ressurgir le jean Levi’s comme un étendard d’appartenance à un groupe. Une résurgence de l’esprit rockabilly et des bandes qui s’en inspirent (Black Panthers parisiens entre autres) replace de nouveau la marque au centre de toutes les attentions. Il y a ceux qui en ont un et les autres.
Levi’s est alors synonyme d’authenticité, car américain et fier de l’être. En parallèle, la marque s’embourgeoise dans les quartiers chics parisiens, où le 501 — et rien d’autre — est le jean que l’on doit porter avec des chaussures Weston assorties d’une veste M65 de l’armée américaine. Au milieu de tout ça, la culture hip-hop, alors en gestation, adopte, elle aussi, le 501 en version un peu plus large et brute, avec des chaussures Converse All Star ou des Puma Clyde. On lui préfère pourtant les modèles d’une marque rivale, notamment aux États-Unis, où des marques comme Lee ou Sergio Valente sont considérées comme plus ancrées dans la culture des quartiers populaires.
OBJET DE CONVOITISE
Le jean Levi’s n’est alors pas encore customisé, et il le sera vers la fin des années 80, principalement en France, lorsque les bandes se l’approprient en cousant sur ses côtés une écharpe Burberry. Aux États-Unis, la marque perd peu à peu de sa splendeur et elle est quelque peu reléguée, ce qui lui donne ironiquement un second souffle. Devenu plus bas de gamme, les gangs de Los Angeles l’adoptent sans restriction pour son côté accessible et peu cher. De nouveau associé à des chaussures Converse ou des Nike Cortez, la marque fait fureur et redevient un standard du look urbain.
Levi’s ambitionne pourtant de monter en gamme, car en Europe, elle est toujours perçue comme une marque de luxe du jean, loin devant ses concurrents. Elle n’initie donc pas spécialement de rapprochement avec le monde urbain et prend même ses distances avec lui. Toute une population street se détourne alors de l’enseigne en adoptant une multitude de marques alternatives, mais à la faveur d’un retour au jean brut et authentique initié par la scène urbaine japonaise, Levi’s revient en odeur de sainteté. À Londres, le Levi’s brut fait fureur, notamment dans le milieu streetwear. Finis les traditionnels magasins spécialisés dans les bottes de cowboys, Levi’s s’invite dans les enseignes branchées. Un partenariat avec le groupe Outkast dans les années 2000 vient d’ailleurs enfoncer le clou, et puis petit à petit, comme à son habitude, la marque se fond à nouveau dans le paysage urbain et se normalise à travers des collections classiques. Levi’s habille tout le monde, et c’est finalement bien comme ça.
RETOUR EN FORCE
C’est sans compter sur la forte identité de la marque qui, en se replongeant dans ses racines basiques (univers cowboy et outdoor US), tape dans l’œil de Beyoncé. Dès lors, la marque n’a plus à courir derrière la tendance. Elle devient tendance en revisitant simplement son héritage. À la faveur d’un désamour naissant pour les marques de luxe devenues trop street et les créateurs urbains qui n’ont d’urbain que le nom, Levi’s se refait une santé en proposant une garde-robe désormais proche des standards que l’on peut trouver en friperie. Avoir un style fripe et authentique avec du neuf est l’une des clés du succès actuel que rencontre la marque outre-Atlantique. Forte de ce retour en grâce, l’enseigne enfonce le clou avec un partenariat avec le rappeur Nas. Une ligne de T-shirts reprenant la pochette de ses albums classiques vient de voir le jour, et d’autres collaborations, comme celle avec De La Soul, inaugurent une nouvelle ère où la marque devrait reprendre ses droits dans la sphère urbaine. Vous avez dit classique ?



