Texte Elisa Seydi
Rencontre avec Jean Claude Jitrois, un créateur incontournable de la mode française. Depuis les années 80, il sublime les femmes avec ses créations en cuir. Interview chez lui dans ses appartements, Rue du Faubourg Saint -Honoré.
Vous étiez destiné à autre chose que la mode pouvez m’expliquer
votre parcours atypique ?
J’ai commencé à faire des études de [mepr-show rules=”8316″ unauth=”message”]psychologie à la Pitié Salpêtrière. Je
faisais de la thérapie pour des enfants qui avait des problèmes de
troubles comportementaux, d’énurésie, qui étaient mal dans leur
peau et acceptaient mal la fratrie… J’ai donc appris tout le
développement psychomoteur de l’enfant de 0 à 2 ans. J’ai aussi
travaillé avec Françoise Dolto et écrit quelques livres qui sont
d’ailleurs sur mon bureau (photo-ci-dessous) sous le nom de Jean-
Claude Coste, mon nom de naissance. Je suis devenu par la suite Jean-Claude Jitrois. Ce travail
de psychologie m’a amené véritablement à soigner les enfants qui avaient des
troubles du comportement. Je les soignais en faisant du psychodrame thérapeutique
façon la théorie de Jacob Moreno. J’apprenais aux enfants à fabriquer des costumes en papier crépon qu’ils portaient ensuite afin qu’ils se sentent mieux dans leur peau. Je me suis rendu que cela consolidait leur “Moi” que l’habit renforçait leur personnalité. J’ai donc voulu par la
suite exercer ce métier. Petit, j’aimais aussi le déguisement. Pour moi,
quand on prend soin de son apparence, c’est déjà une certaine forme
d’art. Tout ce que l’on peut mettre, ou ne pas mettre sur soi, afin de
sublimer sa personnalité, c’est de l’ordre du choix du vêtement, de la liberté de pouvoir choisir.
A quel moment avez-vous eu le déclic de faire de la mode ?
Le déclic a été le jour ou l’une de mes collègues infirmières de
l’hôpital m’a emprunté une de ces robes déguisement en crépon
pour une soirée. Elle est revenue le lundi matin au bureau et m’a
confié que tout le monde lui avait fait des compliments sur cette
robe en papier.
Cela a été pour moi une révélation. J’avais déjà travaillé de 19
à 25 ans la Pitié Salpêtrière, alors je me suis dit que j’allais finalement peut-
être faire quelque chose d’autre de ma vie. Je me suis donc lancé
dans la mode en travaillant uniquement la peau.
Par la suite j’ai habillé des personnalités comme Elton John, Stephanie de Monaco,
Brigitte Bardot et beaucoup d’autres.
Pourquoi le cuir, la peau ?
Ce qui m’intéresse c’est d’être au plus près du corps.
C’est aussi parce que mon père, officier dans l’aviation, portait un
blouson en cuir. Mon premier modèle a donc été un blouson en cuir noir. J’ai
toujours admiré mon père, il avait fait l’école de l’air de Salon de
Provence comme militaire, il me disait toujours « tu ne dois pas jouer avec mon sabre
et mon blouson ». Bien entendu dès qu’il était parti, j’enfilais son
blouson en cuir pour jouer au militaire.
À 77 ans, vous êtes toujours aussi moderne dans vos créations
comme dans la vie. Comment faites-vous ? Quelles sont vos sources
d’inspiration ?
Il faut savoir sentir les années. Vivre le moment présent. Il faut aussi
voyager, voir les gens, dialoguer, échanger. Il faut toujours avoir
l’idée du recommencement dans les collections, et de l’avenir en
général, pour être actuel. Mes équipes m’accompagnent aussi depuis très longtemps,
c’est comme une famille qui évolue avec moi. Il y a des personnes qui
sont là depuis 40 ans mais il y a aussi des gens plus jeunes qui amènent leurs visions.
Pour moi, c’est très important d’avoir un côté famille dans l’entreprise, de dialoguer tous ensembles sur les collections, que chacun puisse s’exprimer. Le fait que nous ne soyons pas phagocités par un groupe de luxe, nous laisse aussi beaucoup plus de liberté.
Comment travaillez- vous ?
Tout est fabriqué ici à Paris. Nous avons un atelier où tout est réalisé,
sauf la broderie, qui est faite en Italie, car les artisans italiens sont
vraiment spécialisés.
Quelles sont les inspirations pour l’été 2022 ?
Aérien, léger, ergonomique et coloré. Pour cette collection, le
vêtement laisse voir la peau. Il y a des espaces où le vêtement
n’entrave pas la personne où au contraire la peau est mise en
valeur. Cela a toujours été ma philosophie : “de ne pas entraver”.
C’est aussi pour ça que j’ai créé le cuir stretch. Une matière souple qui suit le corps en mouvement et ne l’entrave pas.
Vous développez des nouveautés ?
Oui je travaille le cuir vegan avec une maison suisse. La particularité de ce faux
cuir, il ne fait pas transpirer. Les pièces que j’ai
réalisé en faux cuir dans cette nouvelle collection sont le haut noir (deuxième photo ci-dessous) et une longue jupe noire.
Quel regard portez-vous sur la mode aujourd’hui ?
Un regard positif. Il y a plus de jeunes qui abordent la mode, et c’est
bien. L’avenir, c’est la génération Z. C’est eux qui montrent le chemin
aux vieilles générations qui peuvent aussi leur apporter des
connaissances, des techniques et du savoir-faire.
Et quel regard portez-vous sur votre carrière en tant que grand
couturier ?
C’est l’instant présent qui m’intéresse. C’est d’être dans cette pièce
maintenant avec vous.
Merci beaucoup. [/mepr-show]